Merci à Jean-Pierre Juillard d'avoir rappelé à mon bon souvenir l'existence de ce texte écrit dans les années 90

     

    

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Des villes à la campagne                         (Emprunt)

 

Trame de réflexion destinée à ceux qui accepteraient de lutter contre un raz de marée avec des petites cuillères.

 

 

 

Acte 1       Concentré, Concentrique.

 

         La forme actuelle de notre société est le fruit de concentrations conséquences de l'apparition et du développement, avec l'ère industrielle, d'outils complexes.

 

         La complexification de l'outil, lente à l'aube de l'humanité s'est emballée depuis le début de ce siècle pour atteindre de nos jours un rythme effréné ; ce phénomène s'accompagnant évidemment de mutations sociales importantes : l'outil n'est plus produit par un homme, ni par une petite collectivité, mais par des sociétés tendant au gigantisme, des états ou des groupements d'états. Ainsi l'outil complexe induit-il des concentrations :

         - concentration du pouvoir de décision,

         - concentration du pouvoir financier,

         - concentration des moyens de production et de gestion,

         - concentration des populations enfin.

 

         La société actuelle peut se représenter par des cercles concentriques, l'espace central regroupant les organes de pouvoir, les cercles qui l'entourent figurant de proche en proche les degrés divers de participation au fonctionnement social, l'exclusion apparaissant bien évidemment à la "banlieue" de ce système. Ce schéma trouve son illustration dans la structure même des villes modernes qui regroupent en leur centre les organes de pouvoir rejetant de plus en plus à la périphérie leur population ; les plus modestes étant les plus éloignés.

 

         Aujourd'hui ce schéma s'applique à toute la planète en raison du développement des communications. Aujourd'hui des peuples entiers sont rejetés à la périphérie du pouvoir. Ainsi de l'outil complexe nucléaire régi par cette loi des concentrations, la technologie pointue qui l'organise ne peut fonctionner que par une concentration des moyens, concentration qui ne peut plus se réaliser à l'échelle d'un seul pays (d'où surendettement d'EDF par exemple) et ne peut plus s'amortir dans notre seul hexagone (d'où exportation des savoir-faire et ses conséquences géopolitiques). Quand les moyens sont concentrés et que l'outil fonctionne, il n'est plus possible de reculer, et l'outil devient décideur. Au cours de son élaboration, il a phagocyté le pouvoir qui l'a engendré, assurant désormais seul son propre développement : l'homme qu'il était censé servir n'étant plus que son "objet".

 

         Simple exemple ici, que l'on pourrait répéter à l'infini, les outils complexes nous ont envahis et exigent leur tribut : des mégapoles, seulement des mégapoles. Venant amplifier ce phénomène, les lois de l'économie (qui ne sont que le langage des systèmes complexes) induisent la disparition des produits à faible technologie (agriculture et artisanat traditionnels par exemple) qui sont le refuge privilégié des zones qui se dépeuplent au profit des mégapoles...

 

 

Acte II       L'homme séquentiel.

 

         Mais qu'en est-il de l'homme qui vit dans ces systèmes complexes?

 

         Il devient séquentiel : vivant en plusieurs séquences une unique vie qu'il ne peut plus vivre dans sa totalité.

 

         Objet d'un système qui lui est de plus en plus étranger, il en retire un salaire compensatoire, il admet la séquence travail pour en répercuter le fruit dans des séquences personnelles. Mais plus il est objet, et plus il se recherche ailleurs.

 

         Il vivra par procuration dans un tube cathodique, il se projettera dans la recherche de puissance artificielle de jeux primés, il voyagera en lui-même (avec ou sans médiateur) ou au loin...

 

         Mais c'est toujours dans une autre séquence déconnectée de la première qu'il vivra : la société des cercles concentriques a comme engendré des êtres multiformes, souvent fâchés d'eux-mêmes, parfois incohérents : des êtres séquentiels.

 

 

Acte III     L'homme des villes et l'homme des champs (fable?)

 

 

         Un être séquentiel dans les mégapoles, un primate entier dans des campagnes désertifiées?

         C'est l'avenir qui nous est promis.

 

         On voit mal, sauf "catastrophe", comment échapper à ce schéma. Bien-sûr des passerelles existent et certaines séquences se passent-elles à la campagne : effort important pour développer le tourisme. Mais généralement mal distribuées dans le temps, vécues rapidement, n'offrent-elles qu'un palliatif aux deux partis : déconditionnement bref pour les premiers qui essaient de les prolonger par quelques images gravées, ressources trop saisonnières aux seconds qui de surcroît ressentent mal le passage de producteurs à part entière à celui d'organisateurs de loisirs pour autrui, ce qui n'est pas de la même essence.

Les rencontres nées de ces séquences obéissent trop souvent à des stéréotypes dans les quels les uns et les autres sont enfermés. La richesse de ces rencontres dépendant de l'état de bien-être des intéressés, on peut craindre qu'elle n'aille en faiblissant.

 

         Et pourtant que fera l'homme des villes sans ses racines?

 

         L'homme est le fruit de la terre, la gravité l'y attache le plus souvent, l'alimentation l'y aliène, son destin l'y ramènera, peut-il croire y échapper?

 

 

Acte IV     Lucarnes.

 

         L'homo mégapolus multiplie ses séquences et son mal-être grandit, mal-être auquel s'ajoutent les problèmes liés à la concentration : son environnement se dégrade, sa santé est altérée, il somatise, il déprime, il est stressé...

 

         Et si l'on rêvait un peu. Et si l'on réconciliait l'homme des villes et celui des champs. Si l'on acceptait de contrer la loi des concentrations? Si, enfin, on relevait le front face à l'outil complexe?

         Ce qui suit n'est que petites lucarnes, mais si on les ouvrait?

         Si on déplaçait les villes à la campagne!

         Si on travaillait en vacances!

         Si l'on prenait le temps de se rencontrer!

 

         Les techniques nouvelles ont causé des ravages humains, sociaux et culturels, ne doivent-elles pas enfin payer leur tribut à l'homme?

 

         L'idée est simple. Nous l'avons vu, "l'outil complexe" requiert des systèmes gigantesques, nécessairement centralisés. Toutes les tentatives qui ont été faites pour excentrer l'activité échouent, car c'est par essence que le système est concentré. Mais pourquoi ne pas décentrer seulement une séquence d'entreprise, une séquence humaine?

 

         Pourquoi l'homo Mégalolopolus ne viendrait-il pas travailler un mois ou deux à la campagne dans un atelier de sa société ou de son administration, identique à celui qu'il connaît à Paris, Lyon ou Marseille? Des ateliers verts en quelque sorte.

 

         La télématique le permet, de nombreuses technologies l'autoriseraient. Les bénéfices seraient partagés par tous, le déconditionnement, l'environnement et le retour pour l'un, l'activité économique en aval, en amont et aussi en principal pour l'autre. Les équipements estivaux pourraient de plus s'amortir sur une plus longue période, des équipements nouveaux pourraient s'envisager, mieux amortissables.

 

         Notons que des activités à faible technologie mais forte valeur humaine (art, artisanat, découverte...) qui peuvent exister en des zones moins concentrées, ne manqueraient pas d'y trouver leur compte.

 

         Qui ouvrira la lucarne?

         Et si l'on étudiait les conditions juridiques, administratives, techniques, d'une telle utopie?

         Et si on la proposait, si on agrémentait ces propositions d'un ensemble de procédures facilitantes pour les décideurs : compensations à l'installation, aux liaisons télématiques, que sais-je encore...

         Et si des techniciens avisés prenaient le relais du poète?

         Autre lucarne : si les mégapoles ont rejeté à leur périphérie les êtres les moins importants pour elle, l'héritage humaniste de notre société (ou une certaine culpabilité) a cherché à établir des modes compensatoires aux procédures de rejet : on partage plus facilement l'argent que le travail aujourd'hui.

 

         Ainsi, peut-on vivre (mal) sans travailler. Pourquoi ne pas tenter de rapprocher une population excentrée d'une contrée excentrée. Nos communes regorgent d'habitations vides qui pourraient accueillir une population qui, à ressources égales, vivrait mieux ici, surtout si elle est encore proche de la vie rurale (paysans transplantés...). Ces ressources, même modiques pouvant être considérées comme autant de subventions de l'état, puisque dépensées sur place, elles participeraient à l'économie locale. Cet apport de population permettant, par ailleurs, de maintenir les structures existantes (écoles, administrations, commerces...), ils pourraient aussi directement augmenter les ressources budgétaires des collectivités.

 

         Mais si un cadre aisé et cultivé peut envisager un transfert, c'est plus difficile pour qui est à la périphérie, d'où la nécessité de créer des structures de "recrutement" et des structures d'accueil.

 

         Bien-sûr cette solution ne peut-être qu'un palliatif, pas un projet à part entière, mais n'est-ce pas parce que notre population s'est vieillie et résignée que les projets porteurs aujourd'hui lui font défaut?

 

         Une population nouvelle ne pourrait-elle pas contribuer au réveil? Elle pourrait en tous cas maintenir en place les structures qui nous glissent entre les doigts dans l'attente de l'inversion des facteurs de déclin.

 

         Travailleurs en vacances, sans-emploi intégrés, deux éléments qui vont contre la logique des concentrations, deux lucarnes. Il y en a d'autres, elles apparaîtront dès que la clarté commencera de poindre.

 

 

Acte V.

 

Qui l'écrira?

        Ce texte a connu une suite, écrit à l'époque où internet n'était pas encore répandu s'il était déjà né, il a amené une réflexion et un début d'action pour développer un atelier séquentiel expérimental. Cet atelier devait pouvoir accueillir des personnels d'entreprises localisées en zone urbaine et leur offrir des postes de travail bureautique connecté à leur entreprise via les réseaux de l'époque : Numéris et Transpac de France Télécom. Durant une période limitée dans le temps ils devaient tout en travaillant pouvoir bénéficier d'un environnement différent et reposant. On ne parlait pas de gagnant-gagnant à l'époque mais de son côté la commune accueillant l'atelier y trouvait des activités supplémentaires et des échanges avec des milieux différents.

        Á l'origine du concept, j'ai essayé de le porter et créé à cette fin SPAS (Structure Pour des Ateliers Séquentiels), très vite le groupe s'est élargi de personnalités et compétences diverses, leur effort commun a permis le financement d'une étude de faisabilité. Le conseil régional Auvergne, le conseil général de Cantal et celui de la Corrèze mais aussi le Ministère du travail (Monsieur Giraud ministre à l'époque) ainsi que quelques communes ont construit un budget de 80 000 F. L'étude a pu être menée avec le concours d'étudiants  en économie regroupés au sein de ABC Junior.

        Malgré des résultats plutôt positifs, le projet s'est arrêté là et le projet gentiment rangé dans un placard avec les compliments du jury. Il est relativement facile de trouver le financement d'une étude mais le montage d'un projet et trouver qui en assurera la responsabilité, la conduite et les charges est une toute autre affaire que je n'ai pas su mener à son terme. Vingt trois années plus tard, avec le recul et la connaissance du développement fulgurant des télécommunications, je pense que si quelques hommes de pouvoir avaient eu plus de courage et de volonté d'anticipation, la région rurale de moyenne montagne dans laquelle je vivais aurait eu un outil de développement d'avant-garde. Surement les poètes doivent-ils rester poètes et les électeurs seront ainsi bien gardés.

      Pour les amateurs d'antiquités je vous ajoute le projet d'études créé pour développer le projet. Je suis toujours à la recherche du rapport final : pour limiter mes bagages, quand je suis venu vivre en Martinique en 1998 j'ai emmené mes dossiers sous forme de disquettes, j'ignorai que ces importants supports de rapports supportaient mal la chaleur et j'ai tout perdu. Ainsi le document suivant est-il une mauvaise récupération à partir de la version papier.

Projet étude Ateliers Séquentiels

Article à regarder de près

(et merci à l'ami qui a composé ce gag à l'époque)

lemonde