Les Chroniques de Elliott et Janvier
Les chroniques de Elliott et Janvier Nouvelle édition 2023
format ex-libris broché 138 pages
ISBN 978-2-918342-04-5 ©Marc Pottier 2013
L’auteur nous entraîne dans une aventure épique : deux personnages, Elliott et
Janvier, encombrent son esprit, l’inquiètent, il va partir à la recherche de la
paix intérieure. Cette recherche va l’entraîner dans des aventures tantôt
picaresques, tantôt poétiques, souvent surréalistes. Le récit est entrecoupé par
les dialogues de ses personnages : des textes courts humoristiques,
philosophiques, décalés, traitant de tout et de rien avec une profonde humanité,
ces dialogues ont été publiés sur le web séparément avec une certaine
reconnaissance. On peut picorer dans ce livre où l’avaler tout rond, à chacun sa
lecture. Bon voyage.
Les Chroniques de Elliott et Janvier
Les premières pages
Drôle
d'affaire, vraiment drôle d'affaire que celle de ma rencontre avec Elliott et
Janvier, voilà des années que je la traîne, des années que je cherche à m'en
libérer mais tous mes efforts sont jusqu'alors restés vains.
J'ai
consulté, j'ai eu de nombreux échanges à ce sujet, je suis allé sur des forums ;
rien n'y a fait !
Je reste
seul face à cette terrible question : qui sont-ils, d'où viennent-ils et où
vont-ils ?
Un ami
m'a conseillé d'aller me confesser, une pratique que j'ai abandonné avant
qu'elle n'ait pu réellement me servir, je suis parti d'un grand éclat de rire,
lui est parti vexé. Peu de temps après je me suis agenouillé dans un
confessionnal.
La
position ? La fraîcheur du lieu ? Des réminiscences soudaines ? La voix feutrée
de mon compagnon de cellule ? Et jésus comme une révélation : mon ami m'avait
bien orienté : il faut partager ses fautes afin de les mieux appréhender.
Le brave
homme de l'ombre a bien vite compris qu'il n'avait pas à faire à un client
habituel, il a quitté son habitacle et m'a invité à boire un verre au bistrot en
face ; c'était sûrement là ma pénitence !
C'est alors, dans ce bistrot fatigué, glorieux contrepoint de l'église sa
complice, que ma confession a réellement commencé.
J'en parle plus à mon aise aujourd'hui mais ces instants ont été d'une
profondeur, d'une pertinence et d'une humanité si intenses qu'il m'a fallu
plusieurs jours et quelques heures pour vraiment en saisir la portée.
Il est vrai que dans l'immédiat qui a suivi, il m'a été difficile de
saisir quoique ce soit : mon complice de ce moment avait placé la barre de ma
pénitence assez haute et devait-il en outre avoir beaucoup à se faire
pardonner...
L'important est ce qui m'est resté, ce qui a bien pu se passer ce
soir-là, nous nous le sommes mutuellement pardonnés avec toutes nos fautes
passées présentes et à venir.
Inévitablement dieu est venu sur le tapis, normal, c'était le job de mon
compère. Il avait beaucoup d'honnêteté et croyait beaucoup à ce qu'il faisait,
aussi voulut-il s'acharner à me convaincre que je ne devais pas rester dans mon
état de totale incrédulité. C'est assurément pour étayer son argumentation qu'il
offrit celle qui suivait celle du patron, de mon côté, afin de ne pas être de
reste je lui servis un Elliott et Janvier de circonstance :
De dieu
- Elliott :
Dieu est mort !
- Janvier :
…
- Elliott :
Je viens de l’apprendre !
- Janvier :
…
- Elliott :
De source
sûre !
- Janvier :
Voilà qui risque de poser des problèmes.
- Elliott :
C’est là que se trouve la question.
- Janvier :
La question ?
- Elliott :
Dois-je divulguer la nouvelle ?
- Janvier :
Quelqu’un te l’a bien … apportée ?
- Elliott :
En fait, je suis le premier à le savoir ! Tu es le…
- Janvier :
Second ?
- Elliott :
Nous sommes deux à l’heure présente à le savoir. Seulement deux.
- Janvier :
Ah !
- Janvier :
Dis-moi comment le sais-tu?
- Elliott :
Je le sais !
- Janvier :
Mais tu ne croyais pas en lui ?
- Elliott :
Je crois à sa mort.
- Janvier :
Ainsi donc il est mort ?
- Elliott :
Cela fait maintenant une semaine mais je ne l’ai appris qu’hier.
- Janvier :
Comment l’as-tu appris ?
- Elliott :
C’est une certitude qui m’a envahi ; une révélation.
- Janvier :
Tu ne croyais pas à son existence et tu crois à sa mort ?
- Elliott :
C’est ainsi, j’ai cette foi.
- Janvier :
Dois-tu le révéler ?
- Elliott :
C’est devenu notre problème : doit-on le révéler ?
- Janvier :
Le dire à ceux qui croient les confirmera dans leur croyance : Dieu a
existé c’est sûr puisqu’il est mort aujourd’hui.
- Elliott :
Et ceux qui ne croient pas pourront dire qu’il n’existe pas.
- Janvier :
Ils seront tous enfin d’accord !
- Elliott :
Mais si on ne le dit pas ?
- Janvier :
Ignorant cette mort, ceux qui croient ne changeront pas leurs habitudes.
- Elliott :
Ceux qui ne croient pas, ne changeront pas leurs convictions.
- Janvier :
Ceux qui croient auront raison de croire.
- Elliott :
Ceux qui ne croient pas auront raison de ne pas croire.
- Janvier :
Tout le monde aura raison.
- Elliott :
Si on le dit tout le monde est d’accord.
- Janvier :
Si on ne le dit pas tout le monde a raison.
- Elliott :
On le dit ?
- Janvier :
Ou on ne le dit pas ?
- Elliott :
Si nous allions prier ?
Il est clair qu'après ce brillant échange, Gilbert (ah oui, entre-temps,
il était devenu Gilbert) entrait dans un doute métaphysico-existentiel de
première bourre ; il était clair qu'il commençait aussi à comprendre mon
problème. Cet ensemble de sentiments survenant en même temps dans son espace
cérébral provoqua une foultitude de réactions bizarres que je serais tout à fait
malhonnête de vous taire.
Quoique mes facultés d'analyse aient légèrement baissé, je restais
suffisamment lucide pour faire la différence entre le gentil curé qui m'avait
fait passer du confessionnal au bistrot et l'homme que j'avais devant moi. Le
côté paisible et rassurant de l'homme de l'ombre enfermé dans un strict complet
de couleur sombre avait laissé place à un truculent personnage déboutonné. Le
teint avivé que n'aurait pas désavoué un graphiste en étiquettes de camembert,
les cheveux difficiles à remarquer dans l'ordre qui leur était généralement
imposé devenaient une symphonie de nuances et d'expressions. Le brave cher homme
avait la manie de les ajuster au fil de ses discours d'une main voltigeuse et
poétique : tantôt il les étirait vers le haut, tantôt les plaquait à gauche,
tantôt à droite, en avant ou en arrière et ce jeu subtil, outre qu'il offrait de
lui un visage multiple et nuancé, avait
vertu de gomina et le faisait de plus en plus ressembler à un danseur de
tango. Mais peut-être est-ce moi qui m'égare.
Bref, nous devenions autres ; nous-mêmes ?
Les avis divergent sur ce point, si j'en crois quelques mines courroucées
qui fuyaient devant notre image.
J'sais pas vous, mais moi, y'a un moment où le temps s'arrête, besoin
d'un souffle ? Y'en a qu'y disent « un ange passe », pour l'occasion on pouvait
dire ça, on n’était pas loin de l'église.
Gilbert profitant de ce passage allié me regarda avec une profondeur et
une intensité jamais égalées depuis ; sa tête tourna légèrement et souriant :
« pourquoi es-tu venu te confesser ? »
Ma première réponse, je l'ai retenue : « pour la pénitence », mais j'ai
bien compris qu'il en attendait une autre et comme je me sentais de plus en plus
proche de lui, je lui ai donnée.
Voilà des années que je vis avec Elliott et Janvier dans ma tête, pas
facile ! Au début, comme souvent, cela s'est fait insidieusement (j'ai évité de
lui faire : ainsi dieu se ment), j'avais envie d'écrire du théâtre, je me suis
mis au clavier et sans réfléchir j'ai commencé à libérer mes doigts.
Ils sont
partis dans un dialogue entre ces deux personnages, qui, je te l'assure venaient
de nulle part. Certains m'ont proposé des pistes : « La traversée de Paris », un
coureur de demi-fond, un collègue écrivain, quelques autres encore. Aucune qui
ne m'ai satisfaite et qu'importe. Ils sont sortis de moi et la suite m'a
démontré qu'ils n'avaient rien à voir avec qui que ce soit tant ils ne
ressemblaient qu'à eux-mêmes.
Et à
toi ? Et à toi !
Tu as tout compris et
sûrement ne suis-je pas venu ici par hasard.